Il y a peut-être trois mois, Rosalie m’a parlé de son film.
Elle m’a dit qu’elle portait ce projet depuis deux ans, qu’elle avait besoin de tourner, vite, et qu’elle cherchait un producteur qui pourrait l’épauler tout en consentant à cette urgence.
Le scénario était ficelé, solide. Le casting était en cours et les acteurs pressentis prometteurs ; le dispositif permettant de travailler l’improvisation était réfléchi, les intentions claires et converties en choix concrets de mise en scène. Rosalie commençait à rassembler son équipe technique.
Il ne restait qu’à trouver un décor – cette fameuse maison – et un peu d’argent pour défrayer les participants.
Impressionnée par tant d’énergie déployée et par la justesse de ses choix, ç’aurait été une folie de bouder l’occasion d’accompagner une réalisatrice habitée par cette rare et évidente nécessité de faire.
Sans compter que « Le sentiment familial » nous raconte bien plus qu’une histoire de fantôme en famille…
Via le détournement d’un symbole fort de l’Etranger stigmatisé dans la société française – la femme intégralement voilée, le film amène à se questionner sur sa propre représentation de l’Etranger ; plus intimement sur sa relation à l’Autre, qu’il vienne d’ailleurs ou qu’il soit présent au sein de sa propre cellule familiale. Rosalie abolit les frontières du familier et de l’étranger, s’amuse à déconstruire nos repères pour laisser la possibilité de repenser ses propres conditions d’appartenance à un groupe, et d’émancipation.
« Le sentiment familial » parle peut-être aussi de notre crise sociale et économique, en se focalisant sur ses conséquences intimes et claniques. Il donne à voir la cellule familiale, premier lieu du repli des individus en mal de projet politique et de perspective d’ascension sociale. Ce cocon devient alors le lieu de transfert – par défaut – de tous les désirs, et celui de toutes les frustrations. L’irruption de l’Etranger, qui personnifie plus que jamais la Peur dans ce contexte de repli sur soi, vient démontrer la fragilité de ces liens familiaux resserrés dans le souci de fuir le monde qui se rappelle soudainement à ses protagonistes.
Ce film sera absurde, surnaturel, burlesque, dansé ; il sera tragique et il sera drôle. Il sera le fruit d’une intelligence collective tout entière tournée vers le dispositif d’improvisation et vers la création d’un univers hors-normes, habité par un juste malaise à entretenir en permanence, sur le fil du rasoir.
Si vous le voulez bien, c’est un peu grâce à vous qu’il existera…
Annabelle