“Provoquer l’inattendu, l’attendre.”
Robert Bresson
Ce qui est étranger…
Demeurent ces instants où le familier nous est apparu distant quand à d’autres moments l’étranger nous sembla si proche.
De vieux spectres se sont logés depuis longtemps dans les rainures du parquets… Ce soir là, ils vont se réveiller…
Le voile
D’aspect fantomatique, abolissant l’identité visuelle de la personne qui le porte, il m’effraie autant qu’il me fascine.
Objet symbolique, sacré, hanté, saturé d’emblèmes et propice à la projection… je n’ai pas pu résister à l’envie de m’emparer de ce vêtement, m’approprier ses formes, jouer avec la peur, chasser le fantasme. Dans ce film, le voile représente l’Étranger.
Je ne cherche pas la polémique autour de la religion islamique, je veux questionner notre rapport à l’Autre. J’utilise le voile non pas comme un symbole religieux mais plutôt comme un masque.
Tout au long du film, celui qui incarne la posture de l’étranger change de place. Finalement, personne ne se connaît vraiment. La comédie, amère, s’installe, dans cette incompréhension. La logique chancelle et se cogne à l’absurde. Les actions aux accents burlesques prennent des allures déconcertantes. C’est une famille qui perd ses repères.
L’interprétation
Dans un souci de rester perméable au réel, je tournerai en équipe réduite.
En m’appuyant sur le scénario je laisserai place à l’improvisation.
« Qu’est-ce que c’est, au juste, un scénario ? Ce ne sont que des mots et une description – le résumé d’une situation, une abstraction. L’interprétation du scénario ; avec les vies de gens qui le composent, voilà ce qui en fait quelque chose de réel et d’important. » J.Cassavetes
Il nous faudra dépasser l’écriture, s’approprier chacune des situations et les emmener un peu plus loin. Nous tournerons de manière chronologique, pour vivre l’histoire et ne pas perdre le sens du récit. La simplicité de la captation du présent me permettra d’encrer l’univers absurde, délirant, à connotation burlesque, que je recherche, dans un réel apparent.
« Julien Donkey-boy » d’Harmony Korine
Tout se passe en huis clos.
La lumière sera simple jouant sur les sources lumineuses intérieures de la maison et des réverbères de la rue. Les cadres seront par alternance larges, posés, afin de rendre compte des mouvements des corps des acteurs et mobiles, resserrés à la recherche de l’action.
Dans le cadre, les personnages pourront être isolés, mais ils ne se retrouveront jamais seuls. Une ombre, un corps qui bouge et que l’on aperçoit à peine. Une amorce, même engloutie dans l’obscurité, viendra accompagner les sujets des plans. Sans l’existence d’un autre, nous ne sommes l’étranger de personne.
« Les idiots », de Lars Von Trier
La présence d’autrui s’imposera aussi de manière sonore.
Il s’agira de pouvoir capter toutes les actions hors-champ. Il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. Ce que l’on entend, ce que l’on devine et ce qui ne nous est pas accessible. Les mouvements de corps qui n’apparaissent pas à l’image seront présents au son.
Avec le son, nous devrons aussi rendre visible, un autre “étranger” qui ne se voit qu’au contact de la matière: le vent. Force physique intrusive et menaçante, à tout moment il fait monter la pression. Il dérange l’ordre, déstabilise…
La matière du voile est sensible au vent, au mouvement mais peut aussi gêner les déplacements des acteurs, contraindre les corps.
Être toujours prêt, ne jamais s’installer, se déplacer constamment, avec les corps, entre les corps. Rien n’est plus important que de saisir ces instants ou jaillissent les gestes, les regards, les situations.